Partir by Collombat Isabelle

Partir by Collombat Isabelle

Auteur:Collombat, Isabelle [Collombat, Isabelle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Juvenile Nonfiction, General, Juvenile Fiction
ISBN: 9782364744547
Google: 6p2jAwAAQBAJ
Éditeur: thierry magnier jeunesse
Publié: 2014-04-15T22:00:00+00:00


Gueule noire, gants blancs

Marseille la blanche, bordée d’écume, dans l’encombrement de mouettes et de goélands. Depuis le pont, les bras tendus sur la balustrade, le regard braqué vers la terre, Yazid et moi, nous ne manquons rien. Les rangées de bateaux, voiliers, chalutiers. L’alignement des cargos, pétroliers, navires en cale sèche. La roche immaculée mangée par la verdure. Le mont affublé d’une vierge dorée. Les effluves du grand large ne se sont pas encore retirés et embaument l’atmosphère malgré la puanteur du ferry. Les cris des dauphins qui nous ont escortés résonnent encore sur les docks, les vagues étincelantes qui se brisent contre la jetée transportant leur écho.

Nous bombons le torse sur le débarcadère, Yazid et moi. Des bus attendent sur les quais, serrés les uns derrière les autres, que des paquets de jeunes types comme nous les rejoignent. Marseille ne nous déçoit pas, et même plus tard encore en grimpant les marches jusqu’à la gare Saint-Charles, grisés par le voyage, le changement, notre liberté. L’air est doux, le ciel azur. Le soleil déjà chaud de ce matin de mai a des manières de félin méticuleux, nous léchant consciencieusement du bout de ses rayons râpeux. Nous avançons par bonds, comme fixés sur ressort, après deux nuits passées sur le bateau dans des courants d’air marins. Mais nous n’avons pas vraiment le temps de flâner. Sur la feuille de route, notre temps est compté. Nous engloutissons en vitesse, affamés depuis l’aube, le bout de pain, la portion de Vache qui rit, la pomme, l’orange qu’un employé de la Compagnie des mines nous a distribués. Nous écarquillons les yeux en mâchant, avides de tout, curieux des filles que nous devinons au loin, blondes et légères, empressés de découvrir une autre vie, et nous rions avec Yazid sans oser le faire encore à gorge déployée. Nous ne sommes pas arrivés à destination. Marseille n’est que la première étape de notre grand voyage.

Mais nous nous disons, tous les deux un peu ahuris, que nous avons réussi notre pari, que nous sommes arrivés là où nous ne pensions jamais pouvoir poser les pieds. De nous deux, je suis le plus fier. Je fanfaronne, posant à peine les pieds sur le macadam. Je me sens si malin d’être passé à travers les mailles du filet. Le recruteur n’y a vu que du feu et même tout le cortège des infirmières et des médecins après lui qui n’auraient jamais dû accepter, selon les termes du règlement, un garçon de mon âge. Je n’ai même pas dix-sept ans. J’ai menti évidemment. J’ai toujours fait plus grand que mon âge. Je leur ai promis que j’avais vingt ans comme Yazid. J’ai argué que j’avais peut-être l’air plus jeune que mon cousin, mais que je n’étais ni plus chétif ni moins costaud que lui. Yazid a hoché la tête sans ciller quand le recruteur, un sergent à képi, a posé ses yeux sur lui pour y chercher une confirmation ou, au contraire, la preuve d’un mensonge. Yazid et moi, nous avons toujours bien aimé embobiner notre monde, les copains, les parents, les commerçants.



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